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L’arthrodèse percutanée en chirurgie primaire pour une hernie discale : quelles indications?

D.Gastambide, (Paris), P. Finiels (Nîmes), P. Moreau (Boursay)

L'arthrodèse à invasivité minimale, percutanée, pour une hernie discale, permet la pose de "cales" en titane bourrées de substituts osseux, entre deux vertèbres. Le lever est possible le soir même et la reprise de travail sédentaire après quelques semaines.

Historique

Jaslow1 en 1946 et Cloward2 en 1953 ont ouvert la voie de l’arthrodèse intercorporéale postérieure par greffons osseux. Steffee et Brantigan3 en 1993 ont mis en place les premières cages par voie postérieure bilatérale. Leu et Schreiber4 ouvrent la voie des greffes percutanées intersomatiques en 1997.

Commarmond au GIEDA en 1997, et dans la RCO en 2015, a décrit la première mise en place de cages bilatérales par voie postérieure unilatérale, contribuant aux techniques mini-invasives.

Gepstein6 décrit en 2003 des tiges expansibles placées par voie percutanée.

Schwender et coll.7 en 2005 décrivent l’arthrodèse unilatérale par cages bilatérales à travers un tube de 22 à 26 mm de diamètre sous vision directe, avec facettectomie.

L’arthrodèse postérieure percutanée par plaques vissées a été décrite en 2000 par Muller et coll.8 avec le système “Sextant“.

 

Introduction

Dans le cadre de la prévention du FBSS (Failed Back Surgery Syndrome), la chirurgie à invasivité minimale vient au premier plan, et particulièrement l'arthrodèse percutanée intersomatique. Le but de notre étude est d’en établir les indications en chirurgie primaire.

Prévenir le FBSS, consiste à en examiner les causes et à essayer d’en diminuer l’importance. Pour Wagenspack et coll.9, elles sont constituées, par ordre décroissant, par les pathologies suivantes: sténose foraminale 29%, douleur discogénique 21%, pseudarthrose 14%,  douleur neuropathique 9%, récidive herniaire 7 à 12%, instabilité 5%, psychiatrie 3%, facet syndrome 3%, douleurs sacro-iliaques 2%.

 

Présentation de la série 

Notre série de cages percutanées sur rachis vierge de toute opération comprend 2 hommes et 20 femmes, avec un âge moyen de 56 ans, de 35 à 90 ans. La pathologie intersomatique était une discopathie dégénérative dans tous les cas, associée à une sténose foraminale 2 fois, à un spondylolisthésis dégénératif 3 fois, à une scoliose 1 fois. Nous effectuons la mise en place des cages par voie percutanée postérolatérale, sous neuroleptanalgésie et anesthésie locale, sous contrôle par amplificateur de brillance, les cages sont enfoncées dans l’espace intersomatique sur la petite épaisseur, et sont tournées à 90° de façon à ce que la grande épaisseur de 2 mm de plus vienne agrandir l’espace intersomatique et le mettre sous tension mesurée.

Les cages sont bourrées de substitut osseux. Trois fois, nous avons associé des plaques vissées percutanées. Les cages ont été placées à un niveau dans 19 cas, 2 niveaux dans un 1 cas, et 3 niveaux dans 1 cas. Elles étaient bilatérales chez 21 patients, et une patiente a reçu une seule cage au milieu de l’espace intersomatique . Les étages opérés étaient L2L3 3 fois, L3L4 3 fois, L4L5 14 fois, L5S1 4 fois. La taille des cages était de 25mm de long, chez 20% des patients elles avaient 6 ou 7 mm de hauteur pour une largeur de 4 ou 5 mm, pour 44% des cas il s’agissait d’une cage de 8mm de hauteur et de 6 mm de largeur, enfin pour 35% des patients elles mesuraient entre 9 et 12 mm de hauteur et 7 à 10 mm d’épaisseur respectivement.

L'un d'entre nous (DG) mesuré chez 11 patients qui avaient des dossiers radiologiques  archivés et complets, la variation de hauteur intersomatique au milieu, au bord antérieur, et au bord postérieur de l’espace intervertébral, sur les clichés de profil debout et/ ou sur les tomodensitométries, et a établi une hauteur moyenne qui est comparée avant et après la mise en place des cages. Les résultats sont les suivants: les 6 espaces L5S1 sont passés en moyenne de 2,5mm à 4,5mm, soit 2mm de gain moyen de hauteur, 8 L4L5 sont passés de 3 à 7 mm soit 4 mm de gain moyen (fig. 1). Nous ne notons pas de subsidence  (pas d’impaction des cages dans le plateau vertébral), pas d’augmentation  mesurable de lordose, comme l’avait constaté Commarmond sur ses cages bilatérales placées à ciel ouvert par une voie unilatérale, ainsi que Dietrich10 pour des cages bilatérales par voie postérieure.‏‏

Parmi les complications per-opératoires, nous ne notons pas de conversion à ciel ouvert, pas de fracture d’un massif articulaire ni du plateau vertébral, pas de compression ou de lésion de la veine cave ou de l’aorte, pas de syndrome de la queue de cheval. Toutes les cages présentaient une bonne stabilité en fin d’intervention ; 2 fois une seule cage a été posée de façon unilatérale à cause de l’impossibilité d’obtenir un passage intercorporéal d’un côté ; nous ne déplorons pas dans cette série d’irritation de la racine sortante qui se serait traduite par des paresthésies. Une fois, la deuxième cage mise en place s’est révélée en per-opératoire être trop latérale, et a été enlevée dans le même temps opératoire.

Les complications secondaires sont peu nombreuses : minime infection à staphylocoque doré  sur tête de vis nécessitant  un nouvel abord  percutané, avec lavage, ablation d’une seule plaque sur les deux mises en places. Deux fois les cages ont présenté un déplacement secondaire sans conséquence douloureuse, et ont été laissées telles quelles.

Une patiente qui n’avait pas reçu de corset en post-opératoire immédiat, a souffert d’allodynies des membres inférieurs qui ont disparu progressivement en 3 semaines.

Nous ne notons pas d’autre trouble neurologique post opératoire immédiat.

Pour les complications tardives, aucune subsidence ou impaction sur le plateau vertébral n’a été notée. Aucune pseudarthrose n’est déplorée dans cette série de rachis vierge de toute opération antérieure. Une patiente de 52 ans a souffert d’une radiculalgie L5 2 mois après l’intervention, à la suite d’une chute, et la constatation d’un déplacement secondaire d’une cage a nécessité une reprise chirurgicale par la même technique.

Les résultats fonctionnels selon Stauffer et Coventry sont très bons et bons chez 22 patients, assez bon une fois, aucun échec n’est à regretter, avec un recul de 3 à 30 mois.

L'échelle visuelle analogique lombaire et radiculaire (EVA R et EVA L), et l’évaluation fonctionnelle sur le questionnaire Dallas (DRAD) ont tous été améliorés de plus de 50%. Tous les patients conseilleraient cette arthrodèse à un ami.

 

Discussion

D’un point de vue biomécanique: Sohn et coll.11 ont établi "biomécaniquement" en 2006 la supériorité des cages posées latéralement avec conservation du ligament commun vertébral antérieur. Les cages sont calées sur la zone corticale du plateau vertébral. En écartant l’espace intervertébral, elles diminuent la pression intra-annulaire, font disparaitre les protrusions discales et les replis ligamentaires en avant et en arrière ; sur le segment interpédiculaire, elles élargissent le foramen en se substituant véritablement à une foraminoplastie (fig. 2). La possiblité est alors donnée d’enlever les ostéophytes intraforaminaux à la tréphine. Dans le même temps, on observe une diminution de la compression du ganglion radiculaire, une diminution de la compression vasculaire intraforaminale, artérielle et veineuse; sur les articulaires postérieures, on note une disparition du chevauchement zygapophysaire; sur les épineuses, une disparition du Baastrup (contact interépineux); l’intégrité musculaire est conservée.‏

Ainsi nous espérons faire diminuer deux des causes majeures du FBSS représentée par la sténose foraminale, ainsi que la  douleur discogénique. Bien évidemment, la récidive herniaire, l’instabilité segmentaire, et le facet syndrome ne sont plus à craindre.

Nous insistons sur les avantages techniques de l‘intervention : pas de facettectomie  mais seulement abrasion instrumentale du massif articulaire, pas de perte de solidité du plateau vertébral dont la structure d'os cortical en superficie est bien respectée, pas de subsidence secondaire; rapidité de l'intervention; absence de saignement, absence de drains de redon parfois douloureux. Pas de risques liés à l'anesthésie générale. En l’absence d’abord de l’espace épidural, le risque de brèche dure-mérienne est écarté, alors que dans les interventions d’arthrodèse postérieure ou postérolatérale à ciel ouvert une brèche complique 5% des cas environ; de même, nous ne comptons aucun hématome compressif post-opératoire, ni aucune formation d'adhérences pour gêner ultérieurement un éventuel abord chirurgical à ciel ouvert, absent dans cette série. Les suites opératoires sont simples : lever immédiat, port d’un corset rigide à appui pectoral pendant un mois et demie, en permanence sauf pour la douche.

Cette technique offre la possibilité de traiter dans le même temps opératoire, par chirurgie endoscopique, un obstacle foraminal associé, une hernie sus jacente. On peut de plus vérifier le caractère pathologique ou non d'un disque sus jacent, par discographie, et éventuellement traiter une hernie discale cause d’une symptomatologie associée sus ou sous jacente par endoscopie.

Un avantage supplémentaire de cette technique d'arthrodèse percutanée est la diminution majeure des médications antidouleurs en post opératoire par rapport à une arthrodèse à ciel ouvert, mais aussi un minimum de durée de séjour hospitalier, et la possibilité d’une chirurgie ambulatoire.

Les inconvénients à noter sont: la difficulté possible de passer les dilatateurs puis la cage, dans le triangle de Kambin entre racines descendante et sortante, l’irritation temporaire de la racine sortante étant à déplorer une fois dans cette série.

S’il est décidé d’associer des plaques percutanées, la visée pédiculaire peut être délicate.

Cette technique nécessite une courbe d’apprentissage pour un opérateur déjà habitué aux techniques endoscopiques minimales invasives et aux gestes radiochirurgicaux.

La question de la fusion osseuse intervertébrale reste posée : si l'évaluation clinique de la qualité de l'arthrodèse est bonne, l'évaluation radiologique de la fusion osseuse reste difficile à apprécier, d'autant que Heithoff a montré l'existence d'artéfacts d'aspect osseux en pont intervertébral au scanner12.

Chacune des rares complications que nous déplorons n'altère pas la qualité du résultat clinique final. 

 

Conclusions

Au terme de ce débat, nous pouvons poser nos indications actuelles en chirurgie primaire qui sont les lombosciatiques rebelles avec diminution nette de la hauteur du disque et des foramens, avec lombalgies prédominantes ou non, avec ou sans hernie discale de taille moyenne, ou un spondylolisthésis dégénératif modéré. L’indication est formelle s’il existe une sténose foraminale cause de radiculalgie, ou en présence d’une contre-indication à l'anesthésie générale.

Nos contre-indications sont constituées par l’ostéoporose, la volonté de reprendre un travail de force, et par la présence d’un patient pusillanime.

Le plus grand obstacle à l'extension de ce type de chirurgie reste l’absence d'éducation des chirurgiens à la chirurgie percutanée endoscopique; des études plus poussées permettront d'en évaluer l'intérêt qui répond aux tendances actuelles réclamées par tous les patients.

 

Fig 1 : Discopathie avec lombalgie hyperalgique depuis 3 ans, femme de 49 ans, 48 kg

 

 

 

Les cages percutanées donnent une restitution de hauteur de 4mm environ et la fixation associant des plaques percutanées apporte un soulagement immédiat et durable

 

 
 

Fig 2 : Femme de 70 ans, sténose foraminale disco-ostéophytique gauche avec sciatique L5 gauche (Fig 2A), cages percutanées, excellent résultat à 18 mois. La restitution de la hauteur intersomatique et foraminale se substitue véritablement à la foraminoplastie isolée.(Fig 2B). Excellent résultat à 18mois (Fig 2C)

Fig 2A

Fig 2B

Fig 2



 

  1. Jaslow, Intracorporeal bone graft in spinal fusion after disc removal, Surg Gyn Obst 1946 ;82 :215-8
  2. Cloward, The treatment of ruptured intervertebral discs by vertebral body fusion, J. Neurosurg 1953; 10: 154-158
  3. Brantigan J.W.,Steffee A.D., A carbon fiber implant to aid lumbar interbody fusion; Two years clinical results in the first 26 patients. Spine 1993, 18, 2106-17
  4. Commarmond, Arthrodèse lombaire intersomatique monosegmentaire par voie postérieure unilatérale, Rev Chir Orth 2001, 87, 129-134
  5. Gepstein, Posterior lumbar interbody fusion for degenerative disc disease using a minimally invasive B-twin expandable spinal spacer: a multicenter study., J Spinal Disord Tech. 2003 Oct;16(5):455-60
  6. Schwender J.D, Langston TH, Rouben DP, Foley KT, Minimal invasive transforaminal lumbar interbody fusion (TLIF), Technical feasability and initial results, J Spinal Disord tech, 18, Supp 1, Feb 2005
  7. Muller A, Gall C, März U, Reulen HJNeurosurgery, 47, 2000, pp 85-86
  8. Wagenspack A., Schofferman J., Shlosar P., Reynolds J; San Francisco Spine Institute, Spine J., 2004, 400-3
  9. Dietrich O, Luring C, Perm Kamp PH, Perkick L, Walluy T, Kraft CN, Effect of the posterior lumbar interbody fusion on the lumbar sagittal spinal profile. European Orthop Ihre Grenzgebiete2003; 141 (4): 425-32
  10. Sohn MJ, Kayanja MM, Kilincer C, Ferrara LA, Benzel EC, Biomechanical evaluation of the ventral and lateral surface shear strain distributions in central compared with dorsolateral placement of cages for lumbar interbody fusion, J Neurosurg Spine, 2006 Mar;4(3):219-24
  11. Heithoff K, communication à la renion annuelle de la NASS (North American Society, 1999, in Mazel C., Arthrodèses intersomatiques lomboacrées par cages, Cahiers d'Enseignement de la SOFCOT, collection dirigee par J. Duparc, 2004, N°85, Elsevier, in pp 12 et 13